J’étais parmi les 1 700 spectateurs dans la salle remplie au Théâtre du Palais municipal, arrondissement La Baie, le mercredi 12 juillet pour assister à la première de ce flamboyant spectacle 2023 de la Fabuleuse histoire d’un royaume. Pour la énième occasion, je mesurais toute l’ampleur de cette fresque historique, tout le chemin parcouru depuis 1988.
Même si on a omis de répéter son nom à l’occasion de cette soirée spéciale, tous les souvenirs concernant cette œuvre magistrale me ramènent à son auteur, Ghislain Bouchard, sa conjointe, Olivette Hudon et à leurs compagnons d’aventure : les Laprise (Dominic et Jean-François), Jean-Marie Gagnon, Louis Wauthier, Marie-Alice Simard, André Gobeil, André Doré et près de 200 figurants et techniciens entraînés dans cette folie théâtrale digne d’une mégalomanie débridée.
Créé en 1986
Deux ans avant les fêtes du 150e anniversaire de la région, en 1986, un comité des villes du Saguenay, se cherchait une responsable pour coordonner les activités entourant cet événement. Le nom de Ghislain Bouchard, enseignant universitaire et fondateur de l’école de langue s’impose aux membres du comité de sélection.
Après réflexion, Bouchard décline l’offre et propose plutôt de monter un spectacle comme celui du 125e de 1963, qui l’avait profondément marqué. L'ébauche de la Fabuleuse histoire du royaume prenait forme.
La Pulperie recouverte
L’idée de départ de cet homme de théâtre était de présenter une fresque historique sur le site de la Pulperie de Chicoutimi. Un spectacle à ciel ouvert où les spectateurs rempliraient des estrades sur le bord la rivière Chicoutimi.
Un site de rêve à la hauteur des ambitions de l’homme, mais pas celles des gestionnaires municipaux. On lui propose plutôt d’occuper un endroit couvert, plus adapté à notre climat incertain.
Le Palais municipal de Port-Alfred, situé dans le berceau même de la naissance de la région, fera plutôt l’affaire.
Des tonnes de sables
Mais, pour satisfaire aux exigences du créateur de la Fabuleuse histoire d’un Royaume, il faut une grande scène, très grande pour y recevoir des batailles à chevaux, des chars d’assaut, des maisons et quoi encore. Pas moins que des centaines de tonnes de sable sont nécessaires pour couvrir les trois quarts de la surface glacée.
Et on aurait besoin de comédiens, beaucoup de comédiens, de techniciens aussi, de décorateurs, de couturières, bref dans le camp des fonctionnaires municipaux, on longe les murs quand Bouchard se présente à l’hôtel de ville.
Début sans fin
Les dignitaires de toute la région unie du Saguenay-Lac-Saint-Jean se présentent à la première de l’immense fresque vivante. La salle non climatisée est remplie à ras bord les premiers soirs. Certains médias boudent encore l’extravagante démonstration théâtrale, mais du côté de La Baie, des visionnaires comme le maire Richard, voient là une opportunité pour la région d’attirer le tourisme. La Fabuleuse prend racine et pour longtemps.
Lente montée
Devant l’ampleur du spectacle et des dépenses occasionnées, on décide de poursuivre l’année suivante, en 1989. Cependant, la chaleur étouffante à l’intérieur de l’enceinte du Palais municipal non climatisé refroidit l’ardeur des spectateurs.
Vers la fin de l’été, une troupe du département de l’Orne, en Basse-Normandie, sollicite une visite à Saguenay pour assister au spectacle saguenéen. Cette troupe a célébré le 200e anniversaire de la Révolution française en 1988 en présentant un spectacle historique avec des figurants de la petite commune de Montsecret. Ghislain Bouchard les invite en souhaitant qu’ils apportent tout ce qu’il faut pour offrir leur spectacle aux gens du Québec.
Le véritable lancement
Le spectacle des Normands, beaucoup plus modeste, restera dans l’ombre de la Fabuleuse histoire d’un royaume. Cependant, des liens solides se créent avec les représentants de Normandie jusqu’à souhaiter que la Fabuleuse soit présentée, en 1990, en Normandie.
Et cette décision deviendra le véritable fer de lance de cette œuvre de mémoire de Ghislain Bouchard.
Mais comment financer semblable projet? Pendant qu’on sollicite les instances gouvernementales sur toutes ses coutures, les participants à cette grande aventure vendent des macarons et des photos. Les acteurs défrayent eux-mêmes une partie du prix des billets.
Impensable logistique
Ce projet paraît fantaisiste pour plusieurs. Transporter plus de 200 personnes, l’équipe technique y compris, avec costumes, accessoires et tout le matériel de scène représente déjà tout un défi logistique, mais en plus on doit trouver des chevaux, des animaux de ferme et des voitures anciennes.
Rien n’arrête Ghislain et Olivette dont l’expérience, à titre de fondateurs et directeur de l’École de langue de l’Université du Québec servira pour coordonner ce voyage de groupe bien spécial.
D’abord la scène. Le village de Montsecret compte un peu moins de 600 habitants perchés non loin d’une ancienne carrière de pierres. On y creuse une rivière, on y aménage des estrades pouvant contenir jusqu’à 3 000 spectateurs et on y ajoute des tonnes de sable fin pour accueillir les mêmes volumineux décors qu’on retrouve encore aujourd’hui au Palais municipal.
Chevaux et voitures
Mais, avant le grand départ, et pendant que le spectacle se poursuit à La Baie, à l’été 1990, devant des salles surchauffées, à moitié pleines, Ghislain Bouchard et quelques-uns de ses principaux collaborateurs à la production se rendent à Montsecret. Il faut trouver des chevaux, qui proviennent d’un éleveur normand et des voitures, d’un musée situé de l’autre côté de la manche en Angleterre.
Une fois les représentations estivales de 1990 complétées, trois semaines avant que la troupe s’envole pour la Normandie, des ouvriers comédiens-comédiennes et des techniciens sont délégués à Montsecret pour achever le montage des décors et de la scène. Il faut, notamment, construire l’école de Mlle Thérèse et la maison de Mémère Bouchard en sachant que tout ce décor doit se métamorphoser sur la nouvelle scène extérieure plus large et plus vaste.
Une première inattendue
Après une répétition générale en après-midi, sans lumière, pour apprivoiser tout autant les chevaux que les voitures anglaises avec leur volant à droite, il faut attendre que la noirceur sévisse vers 22h en Normandie, en août, pour ouvrir le spectacle devant des estrades pleines à craquer.
Dès l’apparition des premières scènes où apparaissent les autochtones, la foule majoritairement normande fait sentir sa présence par des applaudissements nourris. Les acteurs et actrices, transportés par ce chaleureux accueil, en mettent plein la vue.
Des journalistes de Radio-Canada à Paris assistent à ce pittoresque déploiement théâtral. Le Grand feu, la Deuxième Guerre mondiale exacerbent l’étonnement tout autant que le ravissement, jusqu’à l’apothéose inattendue de la fin.
En cet été 1990 où la France subit son lot de feux de forêt, la finale de cette Fabuleuse en met plein la vue aux visiteurs. Les feux d’artifice qui accompagnent la finale répandent l’incendie dans la forêt toute proche. Les pompiers, ayant heureusement prévu le coup, se transforment en figurants et la foule, debout médusée, applaudit à tout rompre cette finale improvisée.
Images révélatrices
Ce sont ces images spectaculaires que la télévision a projetées partout à travers le Canada, l’Europe et le monde. Les saisons suivantes, la Fabuleuse fera salle comble presque chaque soir et malgré qu’on ait voulu la diluer avec des spectacles comme le Tour du monde et les Aventures d’un Flo, l’originale présentée sous sa forme moderne demeure indiscutablement la version la plus appréciée.
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