
N.D.L.R.: Le règlement hors cour intervenu entre la ville de Saguenay et l'ex-greffière Caroline Dion, qui contestait son congédiement devant le Tribunal administratif du Travail (TAT), met aussi un terme à la poursuite qu'elle avait intentée contre les cinq ex-membres de l'Exécutif de Saguenay, soit l'ex-mairesse Julie Dufour et les ex-conseillers Michel Potvin, Jean Tremblay, Martin Harvey et Kevin Armstrong. Mme Dion a communiqué avec les médias mercredi midi, nous adressant un court commentaire, et dévoilant aussi le contenu de la lettre qu'elle a adressée aux élus actuels de Saguenay. Avec son accord, nous reproduisons ci-dessous intégralement le contenu de son message et de sa lettre.
Madame, Monsieur,
Je vous écris pour vous informer que j’ai obtenu un règlement satisfaisant de la part du maire et des élus de la Ville de Saguenay. Je tiens à les remercier publiquement pour avoir pris le temps, dès le début du mandat, d’étudier minutieusement mon dossier et de prendre les mesures appropriées.
Je n’ai aucun autre commentaire à formuler au-delà de la lettre que j’ai adressée aux élus — lettre qui parle d’elle-même. J’ai toute confiance dans la manière dont vous informerez les citoyens mais je tiens minimalement à ce que vous rapportiez que j'ai foi en notre nouveau maire, M. Luc Boivin et à ce nouveau conseil qui font preuve de rigueur et de courage.
Je vous prie de bien vouloir comprendre mon refus de tout autre commentaire ; je désire simplement tourner la page et reprendre une vie normale.
Je vous remercie de votre collaboration et vous adresse mes salutations distinguées.
Caroline Dion
Contenu de la lettre reproduit intégralement ci-dessous
Saguenay, ce 1er décembre 2025
À l’attention du Maire de la Ville de Saguenay, Monsieur Luc Boivin et des membres du conseil municipal.
La fin d’une histoire impossible – Caroline Dion
Pendant treize ans, j’ai servi la Ville de Saguenay avec loyauté, rigueur et rectitude. Sans être parfaite bien sûr, comme tout le monde.
Mais, j’ai appliqué les lois, soutenu les élus, protégé les décisions administratives et contribué à la stabilité d’un appareil public qui appartient avant tout aux citoyens. Je n’ai jamais plié devant les pressions politiques. Je croyais profondément que le service public devait être un lieu d’équité, de justice et de respect.
Je n’aurais jamais imaginé que c’est cette institution qui me briserait le plus.
Le 23 novembre 2022, je suis arrivée au travail comme n’importe quel autre jour. Je suis repartie avec une suspension sans explication, sans regard, sans humanité et tout ça, pour avoir soulevé des préoccupations légitimes. J’ai demandé pourquoi. J’ai écrit. J’ai relancé. Aucune réponse. Le silence institutionnel… c’est ce qui vous ronge la nuit. C’est ce qui vous fait douter de tout, même de vous-même.
Puis, le 31 décembre, vers 17 h, un samedi soir lorsque tout le monde célébrait le jour de l’an, le directeur général m’écrit pour m’annoncer que je devrais rencontrer un enquêteur à la mi-janvier. Je ne le rencontrai qu’à la fin février.
Je me souviens du choc. Je me souviens m’être demandé : Pourquoi ce moment-là? Pourquoi de cette façon? Je n’ai jamais reçu de réponse.
Les semaines ont passé dans le vide le plus total. Suspension, mais aussi effacement. Je ne savais pas ce qu’on me reprochait. Personne ne me parlait. Chaque journée était une attente anxieuse, un questionnement, une peur sourde d’être accusée de quelque chose qui n’avait jamais existé. Ce que j’ai vécu ne ressemblait pas à une enquête. C’était un processus orienté vers une conclusion déjà décidée.
Le 18 avril 2023, le conseil municipal a décidé de me congédier. Je ne l’ai pas appris de la Ville. Je ne l’ai pas appris d’un gestionnaire. Je ne l’ai pas appris d’un collègue. C’est une journaliste qui me l’a dit. Vous ne pouvez pas imaginer ce que ça fait. On perd son poste, sans savoir pourquoi, dans le silence le plus total. Mais on perd la certitude qu’on vaut encore quelque chose et surtout son honneur, son identité et sa place dans le monde.
Le 27 avril, j’ai finalement reçu une lettre. Une lettre vide, vague, impersonnelle. Qualifiée de chasse aux sorcières par mes procureurs. À la fin mai, mes objets personnels m’ont été remis par huissier, comme si j’avais quitté sous escorte. Treize ans de loyauté… livrés dans une boîte. Ce geste-là brise quelque chose à l’intérieur.
Puis il y a eu janvier 2024. La veille de mon anniversaire. Conférence de presse en règle! Je me suis assise devant mon écran et j’ai entendu mon nom, mon travail, mon intégrité… exposés publiquement sans justification. Des mots durs sans aucune preuve. Encore une fois, je n’avais pas le droit de répondre. C’était ma dignité contre un micro.
J’ai traversé onze jours de procès. Onze jours où la Ville aurait pu expliquer pourquoi elle m’avait détruite. Au bout du compte : aucune faute, aucune preuve, aucune justification.
Et malgré ce vide, j’ai dû supporter : une demande de m’écarter des témoins durant le procès, une fouille complète de mes treize ans de communications courriels et textos, une intrusion dans mes communications personnelles, une tentative de récusation du juge, des contradictions flagrantes, des délais bafoués et des propos humiliants : « harceleuse », « menteuse », « bourreau », « régime de terreur ».
Mais à l’intérieur, ça brise. L’humiliation publique laisse des cicatrices que les manchettes ne montrent pas.
Plus encore, un moment m’a frappée : en audience, on a appris qu’un témoignage avait été préparé à l’aide de questions et réponses fournies d’avance par l’avocat de la Ville. Dans un processus qui doit reposer sur l’indépendance et la vérité, un tel constat est inquiétant. Il rappelle que les fonctionnaires ont le devoir légal de servir l’intérêt public avec impartialité, et non de soutenir un appareil ou des intérêts particuliers. Et pourtant, ce fait essentiel n’a même pas été rapporté par les médias ce jour-là. Quand ces dérives passent sous silence, ce n’est plus une personne qu’on atteint, mais la confiance envers la justice qui en souffre.
Ce dossier n’est pas celui d’une employée mécontente. C’est celui d’une cadre dirigeante ciblée pour des raisons politiques et broyée par un système qui a oublié ses propres règles.
Parce qu’on peut survivre à la perte d’un emploi. Mais on ne sort jamais indemne d’un traitement injuste, humiliant, inhumain et dégradant. Aucune institution publique ne devrait pouvoir : destituer quelqu’un sans justification solide, mener une enquête orientée vers un verdict déjà écrit qualifiée par le juge de « tempête dans un verre d’eau, de peccadilles et de small talk de corridor », multiplier les manœuvres pour épuiser, utiliser le silence comme arme, laisser les rumeurs remplacer les faits.
Je raconte tout cela parce que les citoyens doivent comprendre que ce qui m’est arrivé n’est pas normal. Parce que derrière une décision administrative, il y a une personne. Parce qu’aucun employé ne devrait affronter seul une machine plus grande que lui, pendant plus de trois ans. Et parce que les élus ont des responsabilités. On ne signe pas un congédiement sans vérifier. On ne détruit pas une vie sans contre-vérifier. On ne suit pas un agenda politique sans mesurer les conséquences humaines.
Avant de quitter Saguenay définitivement, je veux rappeler une chose simple mais essentielle: le pouvoir public est immense, et il doit être exercé avec prudence, rigueur et courage. Parce qu’une administration peut se tromper. Mais quand elle détruit quelqu’un sans preuve, sans justification et sans humanité… ce n’est pas seulement une carrière qu’elle brise, c’est la confiance des citoyens.
J’ai foi en ce nouveau conseil municipal et je les remercie. En mettant un terme à cette dérive, il a démontré sa volonté de rétablir la justice.
Personne ne pourra jamais connaitre le fin fond de cette histoire mais je vous demande de croire que je suis, et je resterai, une victime politique.
Et on ne devrait plus jamais accepter que cela se reproduise.
Me Caroline Dion
(418) 546-2525
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